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Lévitation
en groupe…
Laboratoire
de
Zététique, Université de Nice-Sophia
Antipolis
- Le
phénomène
Il existe bien des façons de soulever quelqu’un, mais en voici une peu ordinaire…
Il
faut tout
d’abord imaginer une réunion entre jeunes cadres
dynamiques. Imaginons aussi une
personne
spécialiste du
« coaching », au fort
charisme, qui anime
tout ce petit monde
dans une
ambiance plutôt détendue. Tous les participants
sont
là pour effectuer un stage
contre le stress, afin de retrouver une confiance souvent absente et
apprendre
à mieux travailler en équipe… (soyons
productifs !)
Bref, le
« conseillé » (ou
bien encore, guide) propose de « réaliser
un
travail en groupe qui va
permettre de canaliser l’énergie de chacun et
ainsi de
décupler la force
physique grâce à la « force
psychique » présente en chacun…
On demande l’aide de cinq volontaires et d’une chaise. Une personne s’assoit dessus, genoux serrés, mains sur les cuisses. Les quatre autres se placent deux à deux de part et d’autre, une à chaque épaule de la personne assise et une autre à chaque genou de cette même personne. Notre « guide » demande alors aux quatre courageux de soulever le « cobaye » mais uniquement en plaçant leurs index joints et tendus (mains serrées, doigts entrecroisés sauf les index) sous les aisselles et les genoux. Un peu surpris et pensant l’entreprise vouée à l’échec (Qui peut imaginer pouvoir soulever quelqu’un à bouts d’index ?!), nos « porteurs » tentent alors d’exécuter la manœuvre (fig.1).
Quelques
secondes
plus tard, les
fesses n’ont pas décollé d’un
centimètre : tout le monde rit de bon
cœur
en voyant les efforts désespérés des
collègues.
Mais c’est au
tour du
« guide »
d’intervenir : il doit canaliser
la force psychique qui
sommeille en chacun…
Dans
un
premier temps, il va donc demander aux
« porteurs » de placer leurs
mains sur la tête du
« porté » pour
« entrer en connexion »
les uns avec les autres…Tout en appuyant sur le
crâne,
précise-t-il…
Après quelques
instants, il leur
demande, à la suite d’un compte à
rebours, de
tenter à nouveau
l’expérience :
« 9….8….7….6….5….4….3….2….Mettez-vous
en position….1….LEVEZ !!!! »
Et à la surprise générale, la personne se trouve projetée en l’air (fig.2) avec une facilité déconcertante et qui ne laisse aucun doute sur la cause du phénomène : la mise en commun de chaque énergie psychique !
fig.2[3]
Les commentaires ne
se font pas
attendre :
« C’est
incroyable ! Au
début, impossible de le soulever, ensuite, il ne pesait plus
rien !! »
« C’est
vrai, j’ai bien
senti que notre force était
décuplée ! »
« C’est
parce que nous avons
mis nos énergies en commun ! »
- Quelques explications
Pour tenter de donner une autre explication à cet événement, il va falloir aborder plusieurs domaines
Dans
un
premier temps, nous allons répondre à la
première
question qu’on est en droit
de se poser après une telle
démonstration : Quatre
personnes peuvent-elles en soulever une cinquième uniquement
à l’aide de leurs
index serrés l’un contre l’autre, sans
faire appel
à d’autres
« forces » que la simple force
musculaire ?
Pour
cela, il suffit
de réaliser
une expérience très simple afin de
déterminer
quelle masse un être humain
de corpulence moyenne pouvait soulever de cette manière. Il
nous
a fallu pour
cela
utiliser un sac à lanières assez larges (pour le
soulever
sans se faire mal aux
doigts…) rempli de bouteilles d’eau, de livres,
bref, de
toutes choses
pesantes ainsi qu’un dynamomètre
(gradué en
kgf) très pratique pour peser
ce genre d’objets.
Après avoir
noté la masse du sac,
celui-ci est soulevé par différentes personnes en
utilisant la technique
citée :
10 kg : aucun problème.
20 kg : aucun problème.
30
kg : aucun
problème, si
toutefois on fait attention à son dos !
(A chaque essai,
le sac est
considéré comme
« soulevé »
lorsqu’il s’élève
d’au moins 50 cm)
Conclusion :
Quatre personnes sont capables de soulever ensemble plus de 100 kg (pour être précis : 4 x 30 = 120 kg) en utilisant leurs index serrés l’un contre l’autre.
En supposant que la personne
à porter ne
dépasse pas le
quintal, on peut en déduire qu’aucune
« force » autre que la force
musculaire n’est nécessaire pour effectuer cette
levée (ce qui ne veut
bien entendu pas dire qu’une autre force
mystérieuse n’entre pas en action…).
- La
synchronisation
Il est donc
évident que le
décompte effectué au deuxième essai
est une aide
plus qu’appréciable. En effet,
synchroniser les efforts est indispensable pour lutter au
début
contre
l’inertie du corps et maintenir
l’équilibre du
porté dans les premiers
instants.
- Somme
des forces : comment soulever de plus en plus facilement
Considérons
les deux « porteurs »
positionnés au
niveau des genoux. Ils se
placent généralement en position
« semi-fléchie », bras
à
moitié
pliés, ce qui donne une inclinaison des index (fig.
1.a).
La
force
F
= Fverticale
+ Fhorizontale
(F
= "vecteur F")
exercée par les doigts sur les
genoux
fait donc un certain angle avec la verticale. Or, c’est
justement
la composante
verticale de cette force (Fv)
qui intervient pour soulever. Celle-ci
n’est donc
pas maximale au début de l’action (fig.1.a).
Par
la suite, cet angle diminue puisque le « porteur
» se
redresse petit à
petit (fig.1.b et 1.c). Ceci implique que Fv
augmente
sans que F ne
change : les
porteurs forcent toujours autant mais il est de plus en plus facile de
lever la
charge.
On
peut même envisager que Fv reste
constante (même effet) avec F
qui
diminue (la force réelle exercée diminue) ce qui
expliquerait l’impression de
« forcer de moins en
moins »…qui ne serait
donc pas qu’une impression
en fin de compte !).
1.a 1.b 1.c
Bilan des forces
exercées au point de
contact par les
doigts sur le corps.
(L’angle
au départ est
volontairement exagéré pour
montrer plus clairement l’évolution de celui-ci.)
- Les
muscles
antagonistes
On nomme muscles
antagonistes ceux
qui agissent en sens contraire les uns des autres ; ainsi dans les
membres,
les muscles
fléchisseurs sont antagonistes des
extenseurs,
et vice versa ; tous les muscles ont leurs antagonistes, par exemple
biceps et
triceps (fig. 2.a).

2.a[1]
Ces notions
de physiologie ont pour but de comprendre pourquoi le
« guide » demande
aux volontaires de poser leurs mains sur la tête du
« cobaye » tout
en suggérant d’appuyer dessus : le
mouvement induit
(appuyer) entraîne la
mobilisation des muscles extenseurs (triceps) et donc leur fatigue.
Ainsi, les
antagonistes (biceps) auront moins de résistance
à
surmonter lors de l’effort
suivant (lever), ce qui aura pour conséquence
d’augmenter
leur effet [3].
Les porteurs auront donc plus de facilité pour accomplir leur action.
- La
méconnaissance de notre corps
Aujourd’hui
encore, les capacités méconnues de notre corps
demeurent
le sujet de nombreux
reportages sur des hommes ou femmes capables de prouesses physiques
extraordinaires, dépassant celles de la
quasi-totalité
des êtres humains :
supporter un froid glacial pendant de longues minutes, se transpercer
la peau
sans en ressentir les effets, marcher sur des braises incandescentes,
plonger
sa main dans du plomb fondu, etc.
Ainsi, soulever un
homme, même à
plusieurs, à bout de doigts tendus, est
considéré
comme impossible.
Et
pourtant,
nous venons de montrer que cette action n’avait rien
d’exceptionnel. Nos
porteurs ne sont pas épargnés par cette attitude
« pessimiste » : aucun
ne pense
la réussite de l’acte concevable
avant
l’intervention du
« guide ». Celui-ci a donc un
rôle
important à jouer : faire
disparaître les réticences de
chacun « …je
sais que vous
pouvez le faire, vous en êtes capable, je vais vous aider,
faites-moi confiance,
j’ai déjà réussi plusieurs
fois… »
En ce sens, le pouvoir de suggestion peut être grand (« Ce n’est pas la volonté qui nous fait agir, mais l’imagination. » E. Coué).
Bien entendu, la liste de ces explications n’est pas exhaustive car il est très difficile de répertorier tous les effets qui entrent en jeu dans cette opération : on pourrait par exemple étudier le mouvement des bras qui, après avoir effectué une translation verticale, opèrent une rotation (autour de l’épaule) ; il intervient alors le moment d’une force, elle-même à déterminer, puis à comparer avec la force utile pendant la translation.
Pour en terminer, Jean Rostand résumait parfaitement la situation : « L’homme peut se flatter d’être ce qui se fait de mieux dans l’atelier de l’inconnu. »
Laboratoire
de
Zététique
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Documentation
:
Z-Files
[1]
http://margdelaj.csdm.qc.ca/matieres/sciences/biologie/biolo26.html
[2] http://www.biodeug.com/cours/neuro4.php
[3] John Fisher, La magie du corps (p.161, 162), Editions du Spectacle, 1990.