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H. Broch, Laboratoire
de Zététique, 1999/mars 2004 |
Président de la Société Lafarge"
Professeur Henri BROCH
Laboratoire de Biophysique
à
M. Bertrand COLLOMB
Président
Société Lafarge
Monsieur le Président,
J'ai bien reçu votre courrier du 4 janvier 1999 m'adressant,
en réponse à ma lettre du 16 décembre
1998,
lettre qui vous rappelait ma demande de la publication de l'Agence américaine de protection de l'environnement (EPA), publication dans laquelle cette agence gouvernementale aurait - selon vos propres dires lors de notre entrevue à Acropolis le 24 novembre 1998 - rectifié ses valeurs concernant les dioxines/furannes [dans tout le présent courrier j'utiliserai le terme générique dioxines*] émises sur l'ensemble du territoire des Etats-Unis en 1995 par les cimenteries incinérant des DIS (valeurs publiées par l'EPA et que, dans plusieurs écrits, l'association "Paillons Environnement" avait portées à la connaissance du public et des responsables administratifs) et cela par un facteur diviseur de 37. |
Tout d'abord, je note avec
plaisir que contrairement
à M. Legrand, Directeur de Lafarge-Contes, vous
n'hésitez
pas à faire appel à l'information disponible sur
le réseau Internet.
Je suis par contre assez étonné (c'est un
euphémisme)
que, du contenu de ce texte, vous vous soyiez cru autorisé
à déclarer que l'EPA avait divisé ses
valeurs
par 37.
En effet, nulle part dans le texte de l'EPA il n'est question de cela !
L'EPA indique simplement que les données utilisées pour développer les estimations nationales d'émission de dioxines (pour les cimenteries incinérant des DIS) peuvent avoir été biaisées par les conditions défavorables (en particulier les hautes températures) lors du recueil des données et que, en conséquence, basée sur ces données d'émissions "l'estimation des émissions nationales pour les fours de cimenterie brûlant des DIS a pu être augmentée artificiellement et n'est peut-être pas représentative des niveaux d'émission au jour le jour".
L'EPA laisse donc fort justement
la porte ouverte
à de nouvelles mesures faites dans de meilleures conditions
et en plus grand nombre et pouvant conduire à une
révision
à la baisse de l'estimation nationale (à l'heure
actuelle, et pour éviter ce type de problèmes,
l'EPA
utilise dans ses bases de données, plutôt qu'une
seule valeur "figée", une fourchette de deux
valeurs représentant un écart d'un ordre de
grandeur).
J'espère
qu'une
lecture trop rapide du texte de l'EPA ne vous aura pas fait sauter
les deux phrases qui suivent immédiatement
celle
que je viens de citer car le
texte nous
dit alors:
"Malgré ces
facteurs et limitations,
l'EPA pense que le niveau des 'émissions actuelles' ne
serait pas suffisamment différent pour changer le classement
des fours brûlant des DIS dans l'analyse 112c6 [112c6
fait référence au texte légal
régissant
les émissions de polluants dans l'air. Note HB].
A partir du moment où aucune donnée alternative
n'a été présentée sur
laquelle baser
une estimation révisée des émissions
112c6
nationales pour cette catégorie,
l'information potentiellement
biaisée vers le haut devait être
utilisée."
[gras de HB].
En
termes clairs, l'EPA
confirme, jusqu'à plus ample information, les valeurs 1995
annoncées et - contrairement à ce que
vous affirmez
et que d'aucuns répètent béatement -
ne les
divise en rien par un facteur 37 qui n'apparaît nulle
part !
Après
moult recherches et nuits
blanches passées à d'intenses cogitations, la
seule
possibilité que j'entrevois pour votre fameux facteur
rectificatif
de 37, c'est que vous (ou bien sûr la personne dite
"spécialiste"
dans vos services qui vous a "informé" de ce
fameux facteur rectificatif) ayiez encore une fois lu bien trop
rapidement le texte de l'EPA.
En effet dans le "commentaire/réponse" suivant
celui dont je viens de vous parler
le texte que vous m'avez fait parvenir, je le précise ici pour les autres lecteurs du présent courrier, regroupe les principaux commentaires suscités par la publication des chiffres EPA, commentaires présentés par thèmes en les faisant suivre à chaque fois de la réponse de l'EPA |
"Commentaire:
l'estimation
1996 pour les dioxines
donnée dans l'inventaire 112c6 est erronée parce
que 2 des installations comprises dans l'estimation ont depuis
fermé (usines RC's Festus, Missouri et National Cement's
Lebec, Californie). L'estimation des émissions nationales
de dioxines devrait être moins de 23 g/an avec ces deux
usines enlevées.
Réponse:
L'EPA
est d'accord avec le commentateur sur le fait
que la fermeture des deux fours
référencés
brûlant des DIS réduit l'estimation nationale 1996
d'émission de dioxines TEQ à environ 23 grammes
par an. Le rapport d'inventaire final a été
révisé
en conséquence."
En enlevant deux
usines du décompte,
puisqu'elles ont fermé entretemps, on arrive pour 1996
à environ 23 g de dioxines TEQ (l'estimation 1996 de
départ
était, comme vous le savez sans doute, de 59 g).
Dites-le moi si je me trompe, mais j'ai la triste impression que
votre facteur 37 provient d'une irrésistible attirance
vers ce nombre 23 g mis à votre disposition par l'EPA et
que, vous étant rué sur ce nombre 23 sans vous rendre compte
qu'il ne concernait
pas la même année
(ni même...
les mêmes usines !), vous avez divisé la valeur 1995 de
850 g par la valeur 1996 et
après retrait
de deux usines (au fait elles ont fermé pourquoi ?...)
pour trouver... 36,96, c'est-à-dire votre
désormais
fameux facteur 37.
Et voilà pourquoi votre fille est muette.
Ce scénario totalement
ubuesque me paraît
pourtant le plus plausible (il est vrai que Lafarge-Contes et
M. Plourin, commissaire-enquêteur, nous ont
déjà
"bien" habitués avec leurs démarches,
dossiers et conclusions si particuliers...) et devrait - s'il
se révèle exact - peut-être vous
inciter à
tirer fortement les oreilles de quelques-uns de vos
subordonnés
qui vous transmettent de telles "informations" et vous
laissent
asséner
publiquement de telles absurdités au risque de vous
ridiculiser
et, au travers de vous, de faire perdre tout crédit
à
l'entreprise que vous représentez.
Si tel n'est pas le cas, je recevrais avec plaisir par écrit
l'explication précise du facteur 37 que vous
prêtez
à l'EPA pour diviser des valeurs dioxines 1995 que l'EPA...
ne divise pas.
Au
delà du risible
de la situation et de la confirmation du peu de soin apporté
par votre entreprise pour discuter sur des bases claires, je me
permets de vous rappeler qu'il s'agit ici d'un problème
auquel il faudrait apporter un peu plus de sérieux car
il concerne directement la santé de milliers de personnes
et de leur descendance.
C'est pourquoi je profite de
ce courrier
pour vous faire un bref résumé de quelques points
que l'agence gouvernementale américaine a clairement
démontrés
- pour les Etats-Unis évidemment - par ses analyses et
ses relevés:
···
Il est maintenant
prouvé que les cimenteries émettent des
dioxines dans l'air.
Contrairement à ce que répétait inlassablement M. le sous-préfet Engrand qui n'a jamais voulu écouter aucun des arguments fournis (parmi lesquels évidemment les études américaines dont nous parlons ici) et qui semble d'ailleurs avoir quelque problème avec la simple logique. A la question "Pourquoi ne mesure-t-on pas les dioxines ?", M. le sous-préfet nous a répondu textuellement "Parce qu'il n'y en a pas"; ce qui a évidemment entraîné la question "Et comment savez-vous qu'il n'y en a pas ?". Réponse: "Il n'y en a pas." ! Sans commentaire. |
Les données
générales
1995 les plus récentes mises à disposition par
l'EPA
en avril 1998 sous une forme provisoire (car elles seront encore
affinées) montrent que:
- Les cimenteries brûlant des DIS (34 cimenteries) sont
la 5ème plus grosse source d'émissions de
dioxines
dans l'air.
- Les cimenteries ne brûlant pas de DIS (178 cimenteries)
sont en 10ème position.
- Ce qu'il faut aussi noter c'est que entre 1987 et 1995 les
émissions
de dioxines par les cimenteries ont augmenté d'environ
31% en masse et que cela représente une augmentation
d'environ...
420% en proportion du total de toutes les sources !
En d'autres termes, alors que certaines grosses sources
d'émission
de dioxines sont entrées dans une phase de
réduction
importante de leur émissions, il n'en est pas de
même
pour les cimenteries.
Plutôt
que de parler
en quantité totale d'émission, ce qui rend les
classements,
estimations et comparaisons difficiles si l'on ne connaît
pas précisément les nombres d'usines
impliquées
(nombres qui peuvent varier d'une période à une
autre) ainsi que leurs niveaux et type d'activité (niveaux
et type qui peuvent eux aussi varier d'une période
à
une autre) ou encore la méthode de catégorisation
(la valeur moyenne d'une catégorie regroupante n'est
évidemment
pas la moyenne des valeurs moyennes des
sous-catégories)
il vaut mieux donner les facteurs d'émission:
dans l'air par kg de clinker produit |
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Les facteurs moyens d'émission des deux types de cimenterie diffèrent de manière conséquente mais les facteurs d'émission pour des fours individuels dans les deux groupes se recoupent. Les 5 plus faibles facteurs d'émission de cimenteries brûlant des DIS occupent la même plage que les 5 plus forts facteurs des cimenteries ne brûlant pas de DIS. Si donc l'on ne distingue pas les cimenteries en fonction du brûlage, le facteur moyen d'émission vaut:
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Ce qui vous en conviendrez est, quel que soit le mode de catégorisation choisi, très loin d'être négligeable surtout lorsque l'on se rappelle que la quantité de clinker produite par une cimenterie se chiffre en... centaines de millions de kg par an.
··· Je me permets de vous rappeler que les chiffres ci-dessus ne concernent que les émissions à l'air par les cimenteries. Si l'on voulait chiffrer en globalité pour le problème qui nous occupe ici, il faudrait évidemment également tenir compte du fait que les émissions de dioxines dans l'air ne sont pas les seules "productions" de dioxines par les cimenteries.
En effet, les analyses de l'EPA ont mis en évidence que les poussières recueillies (...quand elles le sont !) par les systèmes filtrants contiennent aussi des dioxines.
Les poussières recueillies par les systèmes filtrants (poussières appelées ici PR car l'EPA différencie deux catégories de poussières recueillies) sont réincorporées dans le cycle de fabrication ou, pour totalité ou partie, retirées du système et évacuées en décharge ou ailleurs (ces dernières poussières appelées ici PE).
Les mesures de l'EPA ont montré que ces poussières contenaient des quantités importantes de dioxines :
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Ce qui, encore une fois, n'est évidemment pas négligeable.
···
Des tests
récents (1997) de l'EPA sur les émissions
d'un four de cimenterie ont même mis en évidence
un phénomène particulier, à savoir que
dioxines
et furannes qui étaient, dans ce cas-là,
à
peu près totalement absents à l'entrée
du
filtre précipitateur électrostatique "hot-side"
(i.e. travaillant avec une température de flux de gaz de
plus de 150 °C), étaient pourtant...
mesurés
à la sortie du filtre ! L'EPA écrit d'ailleurs
très
explicitement que ceci démontre de
manière concluante
que des dioxines ont été formées
à
l'intérieur du filtre électrostatique.
Autrement dit: même quand il n'y aurait pas de
dioxines
dans le flux gazeux de sortie, les cimenteries peuvent en fabriquer
!
Avouez qu'il y a tout de même de quoi s'inquiéter.
A la
lecture de tout ce
qui précède, vous comprendrez donc, Monsieur le
Président de Lafarge, que je sois
particulièrement
étonné (pour ne pas dire choqué) du
comportement
laxiste des pouvoirs publics dans cette affaire et également
étonné que vous puissiez soutenir publiquement
des
allégations aussi dénuées de fondement
que
celle que vous nous avez tenue en l'occurrence.
En formant le vœu à l'orée de cette
année
1999 que la raison simple l'emportera sur les raisons
financières
et politiques qui semblent aveugler certains, je vous prie de
recevoir, Monsieur le Président, mes plus
sincères
salutations.
Professeur Henri BROCH
CC : à M. Legrand, Directeur de Lafarge-Contes,
pour
diffusion auprès de l'ensemble du personnel de
l'usine
afin que leur information sur ce sujet - qui les concerne directement
- soit complète.
*
Note
2004 :
l'écriture consacrée
pour ce deuxième type de molécules est
désormais
"furanes".
Cf. dans cette même base de documentation, mon memorandum "Dioxines, Furanes
& PCBs" /articles/HB_dioxines.pdf
.