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On
assiste actuellement à une
recrudescence d'informations totalement
délétères diffusées par de
nombreux médias
qui n'hésitent pas à asséner des
contre-vérités énormes concernant le
fameux "saint suaire de Turin" et à présenter
comme datant de 2000 ans ce qui
n'est... qu'une mystification, un pur produit "made in France"
au XIVème siècle. Produit dont la fabrication est
très facile,
contrairement à ce qui est ridiculement clamé ici
et là par des
personnes que ces mêmes médias
présentent comme des "experts" du
dossier et qui n'hésitent pas à
déclarer le "suaire de Turin" comme... "non fait de main d'homme"
! Alors que la technique de fabrication la plus probable est... on ne peut plus simple : cf. Fabrication d'un "Suaire" par le Pr. Henri Broch. Devant cette recrudescence, il nous a paru utile de reproduire ici [avec ajout de figures afin que les notations soient bien respectées, ce que l'on ne peut faire en html dont la lecture dépendra du navigateur utilisé] un article fondamental du Pr. Henri BROCH : "Le 'suaire de Turin' a-t-il été bien daté ?" (Carbone 14, contamination et rajeunissement du Saint Suaire de Turin) publié dans Enquêtes Z, N° 11, p. 23-26, 1998 Pour d'autres informations zététiques sur le "suaire de Turin", cliquez ici. |
du "Saint Suaire de Turin"
Université de Nice-Sophia Antipolis
La datation qui fait grincer des dents...
En octobre 1986, après de longues discussions concernant la possible datation par la méthode du carbone 14 (C14) du "Saint Suaire de Turin", un accord de protocole est établi entre les représentants de 7 laboratoires (Brookhaven National Laboratory, Upton, New York - Laboratoire des Faibles Radioactivités de Gif sur Yvette, Saclay - Isotope measurements Laboratory du Atomic Energy Research Authority de Harwell, GB - Radiocarbon Accelerator Unit de l'Université d'Oxford - Nuclear Structure Research Laboratory de l'Université de Rochester, New York - Université de l'Arizona, Tucson - Institut Fédéral de Technologie de Zurich) et ceux du British Museum, de l'Académie Pontificale des Sciences du Vatican, du responsable scientifique de l'Archevêché de Turin et d'un expert en textile du Abegg-Stiftung de Berne.
En janvier 1988, le Vatican
réduit le
nombre de laboratoires à trois (ceux notés en italique
dans les lignes précédentes) et modifie le
protocole
des scientifiques.
Le "Saint Suaire de Turin" est alors daté par
les trois laboratoires restants (Arizona, Oxford, Zurich) qui
utilisent la technique de spectrométrie de masse du carbone
14 (l'élimination des autres laboratoires a
réduit,
de fait, le nombre de techniques de mesure à une seule).
En même temps que l'échantillon tiré du
"Suaire
de Turin", trois autres échantillons - les
"contrôles"
- dont les âges avaient été
déterminés
de manière indépendante ont
été également
soumis à la datation par ces laboratoires. Les
résultats
divulgués en octobre de la même année -
et
totalement crédibilisés par les valeurs
trouvées
pour les "contrôles" - ont donné, pour
le lin qui a servi à confectionner le linge sur lequel
se trouve l'image du "Suaire de Turin", la date sans appel de:
1325 ±
65

Cette mesure physique a jeté la consternation dans le camp des tenants de l'authenticité et certains ont, conséquence forte de leurs préconceptions, rejeté purement et simplement cette datation (quand ils n'ont pas rejeté... la méthode de datation par le C14 elle-même !)
Un des arguments pour refuser la
datation est
le fait qu'une contamination (à partir
de bactéries
ou champignons) d'époque évidemment
postérieure
au résultat obtenu aurait pu en conséquence
"rajeunir"
le linge.
Plusieurs collègues scientifiques ont
déjà
clairement souligné qu'une telle assertion ne
présentait
pas grand chose de sérieux mais il est toutefois
peut-être
nécessaire de bien clarifier la situation sur ce point
et l'idée de T.J. Pickett (dont ce chapitre se fait le
héraut) de calculer la quantité de contaminant
semble
la mieux adaptée. Sans même parler des techniques
de purification des échantillons utilisés qui ont
été effectivement utilisées avant de
faire
les mesures de datation et qui donc diminuent
déjà
fortement la simple probabilité pour que
l'événement
"fort impact d'une contamination sur la datation" se
produise, nous allons donc nous concentrer sur un (ou deux) petit(s)
calcul(s).
Sans toutefois - nous l'espérons - vraiment risquer un échauffement fatal à nos neurones cérébraux.
Qu'est-ce que la datation par le carbone 14 ?
---- Tous les
échantillons de carbone tirés de
créatures
vivantes sont composés de deux isotopes (cf.
encadré
*)
de carbone C12 et C14
La proportion de C14 et C12 n'a pas changé** de manière
significative au cours des derniers milliers d'années et
ce rapport est connu.
---- Le C12 est stable, c'est-à-dire que le nombre d'atomes de C12 dans un échantillon donné est constant au cours du temps.
---- Le C14 ,
lui, est radioactif (chaque gramme de carbone d'être vivant
contient suffisamment d'isotope C14 pour donner 13,6
désintégrations
par minute) et le nombre de tels atomes dans un échantillon
décroît au cours du temps selon la loi : n
= no
exp(-at)
dans laquelle:
- no est le nombre de C14 à l'origine
(c'est-à-dire
lors de l'arrêt du processus de "remplacement"**, à
la mort de la créature, animal ou plante),
- n est le nombre d'atomes C14 restant au bout du
temps
t,
- a est la constante de
désintégration
(ou constante radioactive); elle est
reliée à
la demi-vie***.
---- Une mesure**** du
rapport
C14/C12 permet donc de situer dans le temps la mort de l'organisme
considéré.
* L'isotope d'un élément
possède le même nombre de protons et
d'électrons mais un nombre de neutrons différent.
Un échantillon de carbone
est en fait un mélange de 3 isotopes: C12
(représentant ~ 98,892 %), C13 (~ 1,108 %) et C14 (traces:
1,2.10puissance(-12) %). L'isotope C13 n'affecte pas le processus de
datation parce qu'il est stable. ** Dans un organisme vivant, le rapport C14/C12 est maintenu constant par le métabolisme car le carbone est continuellement échangé avec l'environnement. La proportion de carbone 14 étant constante dans l'atmosphère, il en est de même dans l'organisme, tant qu'il est vivant, puisqu'il aborbe ce C14 comme il absorbe le C12 . Le carbone contenu dans le gaz carbonique CO2 de l'atmosphère est utilisé par les plantes vertes pour la photosynthèse de molécules (hydrates de carbone, protéines) servant d'aliments aux animaux et restitué également à l'état de CO2 par la respiration et les transformations bactériennes des excréments et des cadavres. Après la mort, il n'y a plus apport de carbone et, en conséquence, la proportion de C14 décroît lentement (le C14 se transforme en azote). En fait, la proportion de carbone 14 n'est pas strictement constante dans l'atmosphère dans laquelle il est produit (par action des neutrons du rayonnement cosmique sur l'azote) mais les fluctuations de ce pourcentage au cours du temps sont assez bien connues - du moins pour les 40.000 dernières années - et introduites dans la correction et la calibration des datations radiocarbone. *** La demi-vie (ou période), est la durée au bout de laquelle un nombre quelconque de noyaux radioactifs, ou de particules instables d'une espèce donnée, est réduit de moitié par désintégration; la demi-vie T1/2 est reliée à la constante de désintégration a par la formule a.T1/2 = ln 2. La demi-vie du C14 vaut 5730 ans (la convention internationale pour la datation au radiocarbone a adopté 5568 ans et un facteur 1,029 est introduit pour passer des dates tirées de cette période, adoptée dès 1951, à celles liées à la nouvelle) **** A l'heure actuelle, il existe au moins deux techniques différentes pour la datation C14 d'un échantillon: - technique gaz: le carbone de l'échantillon est réduit à l'état de gaz, puis l'on compte les désintégrations béta à partir du CO2 introduit dans des compteurs miniatures (5 cc) proportionnels à gaz - technique spectro: technique avec accélérateur et spectromètre de masse pour séparer les ions C14 des C12 et donc déterminer le rapport des deux isotopes. |
La question qui se pose...
"Quelle est la quantité de contaminant nécessaire pour qu'un objet vieux de 2000 ans apparaisse, lors d'une datation au carbone 14, comme datant seulement de 650 ans ?"
Nous sommes ainsi en présence de 2 scénarii possibles:

---- Scénario 1: le "suaire" date effectivement du moyen-âge ; il n'y a aucune complication dans la technique et l'analyse de la datation et, en conséquence, on obtient une ancienneté d'environ 650 ans.
Soient n12 : nombre originel
d'atomes de C12
dans le "suaire"
n14 : nombre originel d'atomes de C14 dans le "suaire"
(c'est-à-dire dans le lin à l'époque
de son
tissage, il y a 650 ans)
Aujourd'hui il y a toujours n12 atomes de C12 mais seulement n'14 = n14 exp(-at1) de C14 (avec t1 = 650 ans).
Le rapport actuel entre carbone
14 et carbone
12
dans le "suaire" est donc: C14/C12 = (n14 exp(-at1))
/ n12 ........(1)
---- Scénario 2: le Suaire a environ 2000 ans mais il a été malheureusement contaminé par du carbone d'origine beaucoup plus récente qui, par sa présence, fausse les mesures.
Soient S12 et S14 les nombres
d'atomes de C12
et C14 présents à l'origine (c'est-
à-dire
il y a 2000 ans) dans le Suaire.
Soient A12 et A14 les nombres d'atomes de C12 et C14 ajoutés
au Suaire, c'est-à- dire présents dans le
contaminant
à l'époque de la contamination.
De nos jours, le contaminant est quasiment entièrement présent (si l'on choisit une contamination entièrement d'époque moderne, c'est-à-dire si l'on choisit le cas le plus favorable pour l'hypothèse de l'authenticité) mais le C14 contenu à l'origine dans le Suaire est maintenant en quantité S'14 = S14 exp(-at2) (avec t2 = 2000 ans).
Donc le rapport actuel dans
l'objet
"Suaire+contaminant" vaut: C14/C12 = (A14 + S14 exp(-at2))
/ (A12 + S12) ........(2)
La conséquence...
Les suairophiles affirment que c'est le scénario 2 qui est le vrai mais que, malheureusement, on l'interprète comme s'il s'agissait du scénario 1. C'est-à-dire que la teneur (2) donne un résultat que l'on confond avec celui de la teneur (1). En d'autres termes que:
(n14 exp(-at1)) / n12 = (A14 + S14 exp(-at2)) / (A12 + S12)

Si l'on note c (pour chi) le
pourcentage naturel
de C14 par rapport au C12, le même à l'heure
actuelle
qu'il y a 650 ans et qu'il y a 2000 ans, on peut écrire:
A14 = c A12 et S14 = c S12 et n14 = c n12
donc c n12 exp(-at1) / n12 = (c A12 + c S12 exp(-at2)) / ( A12 + S12)
En simplifiant puis en divisant
par S12 et
en appelant R le rapport A12/S12 qui nous intéresse,
à
savoir le pourcentage d'atomes de carbone ajoutés
(contaminants)
par rapport aux atomes de carbone du linge*****,
nous obtenons: exp(-at1) = (R + exp(-at2)) / ( R + 1)
d'où l'on tire: R = A12/S12
= (exp(-at1)
- exp(-at2)) / (1 - exp(-at1))
***** Ce rapport est, en toute rigueur, égal à (A12 + A14) / (S12 + S14) mais il ne faut pas oublier qu'il y a un nombre très, très, très, petit (re-cf. encadré*) d'atomes de C14 par rapport au nombre d'atomes de C12 et donc, si nous écrivons le rapport sous la forme A12 (1 + A14/A12) / (S12 (1 + S14/S12)) nous voyons bien qu'il vaut A12 / S12 à une infime fraction près |
Or nous avons t1 = 650 ans, t2 =
2000 ans et
a.5730 = ln2 , ce qui nous donne............ R ~ 180 % !
Ce qui signifie, en termes clairs, que sur 3 atomes de
carbone
présents dans l'échantillon, (près de)
2
d'entre eux ... sont originaires de la contamination.
En d'autres termes, peut-être plus clairs encore, les
tenants du scénario N°2 ne peuvent pas dire
que des bactéries ou des champignons ont
contaminé
le Saint Suaire car ils doivent dire
très précisément
que... "le
suaire a contaminé les bactéries" !
N'oublions pas que nous sommes là dans l'hypothèse (contamination uniquement d'époque récente) la plus favorable au scénario de la contamination.
Si la contamination est plus ancienne, alors pour obtenir une datation C14 donnant le moyen-âge il est évidemment nécessaire que le rapport R soit plus grand. Le rapport se calcule en tenant compte du fait que, cette fois-ci, le nombre A14 d'atomes de carbone 14 contaminants a diminué depuis l'époque de la contamination.
Ce nombre A14 de
l'équation (2) devient
maintenant A'14 = A14 exp(-a.D) , où D est l'intervalle
de temps entre notre époque et celle de la contamination.
Le coefficient cherché R est donc: R = (exp(-at1) -
exp(-at2)) / (exp(-a.D) - exp(-at1 ))
(t1 et t2 sont toujours les valeurs 650 ans et 2000 ans respectivement)
Deux valeurs, juste à
titre d'exemples:
-- si l'on suppose que la "contamination" a eu lieu
vers l'an 1800,
alors la masse de carbone contaminant vaut 2,7 fois celle du
suaire.
-- si l'on suppose que la "contamination" a eu lieu
vers l'an 1500,
alors la masse de carbone contaminant est égale
à
plus de 8 fois celle du suaire.
A un tel niveau
de ridicule, je pense que l'on peut s'arrêter de discuter
de l'hypothèse de la contamination.
Pr. Henri BROCH
Références:
- Damon P.E., Donahue D.J., Gore B.H., Hatheway A.L., Jull A.J.T.,
Linick T.W., Sercel P.J., Toolin L.J., Bronk C.R., Hall E.T.,
Hedges R.E.M., Housley R., Law I.A., Perry C., Bonani G., Trumbore
S., Woelfli W., Ambers J.C., Bowman S.G.E., Leese M.N., Tite M.S.
(1989), Nature, vol. 337, 16 février, p. 611-615
- Lide D.R. éd. (1994), "Handbook of Chemistry
and Physics", CRC Press, Boca Raton
- Mathieu J.P., , Kastler A., Fleury P. (1991), "Dictionnaire
de Physique", Masson
- Pickett T.J. (1996), Skeptical Briefs, juin 1996, p. 3
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