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Le "yéti nain" de Levens (06)
ou
Paréidolie & Cie
Jérôme
BELLAYER
Laboratoire de Zététique, Université de Nice-Sophia Antipolis
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Le 01 Décembre 2004, nous avons reçu par mail une série de photos (voir ci-dessous). Prises en décembre 1993 vers 15h, elles représentent une chapelle située sur le Mt Férion, près de Levens, petit village des Alpes-Maritimes. C'est sur l'une d'elles que l'auteur des photos relève la présence d'une forme qu'il n'avait pas remarquée. On peut en effet distinguer, à l'intérieur de la chapelle, sur la droite du vélo, une silhouette qui semble se déplacer vers l'extérieur. Ce qui est troublant, c'est que le lieu était censé être désertique. Une créature humanoïde de petite taille aux allures simiesques aurait-elle été dérangée par notre cycliste ? Le yéti a-t-il une descendance dans l'arrière pays niçois ? |
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Grossissement de la photo A. Le " Yéti " se trouve sur le côté droit. |
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Voici deux grossissements du " yéti " de la photo A et de son " visage ". Ces grossissements ont été effectués par l'auteur de la photo à l'aide d'un scanner. | ||||||||||||||||||||||||||||||||||||
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Votre serviteur s'est donc rendu sur place (4h de marche et 1000 m de denivelé, c'est bien connu, les yétis ne vivent pas au centre ville !) pour se rendre compte de la situation et prendre une série de clichés (photos B, D et F).
Première constatation : d'après l'heure et la date (15h au mois de décembre), le soleil commençait à être assez bas sur l'horizon. La chapelle étant entourée d'arbres (voir photo A), de nombreuses ombres créées par ceux-ci se projettent sur ses murs et à l'intérieur. On constate cela sur une autre photo réalisée à un autre moment (photo C ci-dessous). Sur les photos D et F prisent plus récement (les arbres ont changés et les photos ont été prisent 1 heure plus tôt que la photo étudiée), on observe que le soleil entre dans la chapelle et que certains rayons pourront atteindre le mur du fond. En effet, le soleil descendant sur l'horizon, les rayons vont monter progressivement atteignant ainsi l'emplacement du "yéti". Deuxième constatation : le fond de la chapelle n'est pas constitué de quatre murs réguliers comme on aurait pu le supposer d'une petite chapelle comme celle-ci. En effet, ma visite sur place a révélé une stucture avec des angles et des arrondis (photo D ci-dessous prise le 20/12/2004). Il faut préciser qu'une modification notable a été effectuée entre 1993 et 2004 : l'installation d'une grille protégeant un autel. Le fond de la chapelle est donc constitué d'un renfoncement arrondi avec au sol une petite dalle et de chaque côté de ce renfoncement un mur perpendiculaire aux murs latéraux de la chapelle. Devant ce renfoncement se trouve un autel en bois. On peut être sûr que le fond de la chapelle n'a pas été modifié en regardant une photo prise lorsque la grille n'était pas encore installée (photo E ci-dessous). On reconnaît le mur de droite ainsi que le début de l'arrondi du renfoncement et la dalle au sol. L'autel était aussi présent. Troisième constatation : il y a des ouvertures en forme d'arche de chaque côté de la chapelle qui peuvent permettre à des rayons du soleil d'atteindre le fond de celle-ci (photo F ci-dessous).
Quatrième constatation : en plaçant côte à côte la photo du " yéti nain " et celle de l'intérieur de la chapelle, on remarque que l'angle constitué par le mur et le début du renfoncement est situés exactement à l'endroit où était apparu le " yéti nain " (photos ci-dessous).
L'hypothèse retenue ici serait que le yéti n'est en fait qu'un assemblage de tâches lumineuses formées par des rayons lumineux passant à travers les arbres et venant frapper l'angle du mur à l'intérieur de la chapelle et notre cerveau (qui recherche en permanence des formes connues dans les images qu'il reçoit) se charge du reste. Ce genre de phénomène (perception d'une forme connue dans une image floue) est connu sous le nom de paréidolie. Il pourraît être aussi à l'origine de nombreuses apparitions de la Vierge ou de Jésus sur des supports divers et variés.
Quand on aborde les problèmes de perception visuelle, il y a trois termes qu'il convient de connaître :
En ce qui concerne les images, la perception de contours nets sur une image imprécise pourrait provenir d'une capacité de notre cerveau à prolonger des segments. Si vous regardez la figure ci-dessous sans fixer de point particulier, vous aurez l'impression de voir un triangle blanc masquant en partie trois disques et un triangle noirs. Le triangle blanc n'apparaît parfois qu'après plusieurs secondes, mais il semble être plus blanc que le fond blanc sur lequel il se détache ! C'est un exemple de " contour subjectif ", une classe d'illusions visuelles dont Gaetano Kanizsa, de l'Université de Trieste, a été un pionnier.
Pourquoi un triangle illusoire apparaît-il et pourquoi semble-t-il plus brillant que la partie qui l'entoure ? En 1986, Stanley Coren, de l'Université de Colombie britannique, Clare Porac, de l'Université de Victoria et Leonard Theodor, de l'Université de York, ont examiné et rejeté toutes les explications attribuant une origine physiologique aux contours subjectifs ; ils ont montré qu'une seconde catégorie de processus, dits cognitifs, explique mieux ces illusions : nous voyons les triangles subjectifs parce que notre cerveau cherche automatiquement à délimiter des régions et, de ce fait, à donner un sens à une figure a priori quelconque. Il se pourrait également que nous considérions l'ensemble de la figure comme un puzzle à reconstituer en y recherchant des formes familières ou simples. Selon S. Coren, un mécanisme cognitif puissant s'appuie sur le relief apparent du dessin produisant l'illusion. Dans le cas du triangle de Kanizsa, la figure subjective semble se trouver en avant des autres figures, les cachant en partie à notre vue. Pourquoi la sensation de profondeur éclaircit-elle le triangle ? Aucune explication ne satisfait tous les psychophysiologistes, mais il est probable que cette luminosité supplémentaire aide à renforcer la perception du triangle, que nous savons illusoire. Il existe peut-être un autre mécanisme cognitif qui joue un rôle important lorsque nous percevons une figure illusoire, nous l'interprétons inconsciemment en fonction de nos expériences antérieures. On connaît également des illusions plus subtiles. Lorsque l'on présente la figure de droite sans les figures de gauche, l'illusion est difficilement perceptible. Si, en revanche, on montre d'abord les deux illusions de gauche puis, la troisième, le triangle illusoire sera plus facilement perceptible.
Les trois petites images précédentes amènent donc une remarque suplémentaire : le problème de l'expérience et du vécu. En effet, si on présente la troisième figure à une personne ne connaissant pas cette illusion, elle ne verra peut être pas le triangle suggéré (ou alors elle mettra plus de temps) alors que si cette personne s'est " entrainée " sur les deux premières, elle verra sans problème et rapidement le triangle de la troisième figure. Ceci nous permet donc de dire que le vécu d'un témoin peut l'amener à voir ou à rechercher involontairement une forme particulière que ne verra pas une autre personne. Il y a donc au moins deux phénomènes qui s'expriment lors de la reconnaissance de formes par un cerveau : la capacité à prolonger des lignes et les souvenirs, le vécu, l'expérience de la personne. L'idée à garder de cela est que le phénomène de la vision est beaucoup plus complexe qu'une simple image qui se forme sur la rétine. Le cerveau effectue en permanence un traitement des stimuli reçu du nerf optique afin de nous donner une vision globale de ce qui nous entoure. La vision est donc un phénomène actif qui peut parfois nous jouer des tours. C'est à partir de cette hypothèse qu'a été testée la différence de perception des formes entre des personnes " croyant " au paranormal ou autres apparitions et des personnes ne " croyant pas " au paranormal. Dans cette étude de Susan Blackmore [8], des dessins étaient projetés au sujet pendant un dixième de seconde. Lors des premières séries, les dessins étaient très flous et fragmentaires puis, progressisvement, la qualité des dessins était améliorée. Chaque sujet précisait à partir de quelle série il distinguait une forme et quelle était la nature de cette forme. L'analyse des résultats fit ressortir que les " croyants " au paranormal distinguaient des formes plus tôt que les " non croyants " mais n'étaient pas capable de les identifier. Cette corrélation n'explique evidement pas le processus qui pourrait lier les croyances au phénomène de perception des formes mais elle fournit un indice suplémentaire tendant à montrer une influence du traitement des formes par le cerveau sur les visions de fantômes ou les apparitions de Jésus et de la Vierge Marie sur des support divers et variés. La perception des distances est aussi un exemple intéressant du traitement effectué par le cerveau. En effet, lorsqu'on s'approche d'un objet, l'image de celui-ci sur notre rétine devient de plus en plus grande et pourtant nous n'interprétons pas cela comme un changement de taille. On en conclut que la taille de l'image sur la rétine n'a pas de lien immédiat avec la perception que l'on a de la taille d'un objet. Dans ce cas, tout est lié à l'environnement. Ce sont des changements relatifs qui nous renseignent sur des variations de tailles. En l'absence d'environnement, notre cerveau travaille dans le vide et n'arrive plus à analyser les distances. Un OVNI suivi par trois pilotes de ligne illustre très bien ce phénomène. Au début des années 90, trois pilotes cumulant environ 12000 heures de vols, étaient dans un avion au sol en train d'effectuer l'embarquement des passagers quand ils aperçoivent ce qu'ils ont tout d'abord décrit comme un OVNI. Il était de couleur argentée et sa taille fut comparée à celle d'un 747. Il accéléra jusqu'à mach 1 et, arrivé à une certaine altitude, effectua un changement de direction formant un angle aigu. Les pilotes étaient persuadés d'assister au vol d'un engin extraterrestre lorsque l'illusion disparut d'un seul coup. L'engin s'approcha de la ligne d'horizon et, au lieu de le voir disparaître derrière une ligne d'arbre, resta visible en avant plan de cette ligne. Ils se rendirent alors compte que ce qu'ils prennaient depuis quelques instants pour un OVNI était en fait un morceau de duvet qui flottait dans le vent quelques dizaines de mètres devant eux. Trois pilotes ont été trompés par un morceau de duvet qui flottait dans les airs [4]. Que s'est il passé ? Les pilotes ont été trompés par deux choses : tout d'abord par un manque de repères visuels et ensuite par leur expérience. En effet, ayant l'habitude d'observer des objets distants de plusieurs kilomètres et se déplaçant rapidement, le cerveau des pilotes a interprété ce duvet comme un gros objet lointain et se déplaçant vite. Cela ne pouvait donc être qu'une soucoupe volante pour expliquer ce comportement aérien exceptionnel. Cet exemple remet en cause le principe du témoignage d'un expert. Nous sommes en fait tous humains et, expert ou pas, notre cerveau peut être victime d'illusions ayant pour origine son processus de traitement des images. Tout ceci ne veut pas dire que l'on doit en permanence se méfier de ce que l'on voit. Il faut cependant avoir à l'esprit que la vision est un sens qui peut être trompé (volontairement ou involontairement) et ceci que l'on soit "expert" ou non.
Voici quelques exemples de paréidolie qui ont fait sensation.
Jesus est aussi apparu sur les ailes de cet aigle.
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©
J. Bellayer, Laboratoire de Zététique, mars 2006
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